ft. Aaron Taylor Johnson

Tout s'est passé comme dans un rêve. Assis sur le rebord d'un des bancs municipaux ornant le parc, il a regardé tous ses anonymes passer, cherchant cette figure qui le délivrerait de l'ardue tâche qu'il s'était promis d'accomplir ; un seul visage pour illuminer sa chaîne Youtube qui commençait enfin à gagner en notoriété après deux années de travail ardu. Puis elle est apparue dans son champ de vision, illuminée autant par la lueur qui émanait de son visage que par le seul rayon de soleil qui trouait la masse nuageuse au-dessus de la vieille ville d'Oxford; on ne pouvait pas rajouter plus cliché au cliché. Il savait que c'était elle dont il avait toujours eu envie, besoin même; c'était la Muse qu'il avait attendu toute sa vie. Il n'avait pas eu le temps de dégainer son caméscope pour la filmer qu'elle s'engouffrait déjà dans l'une des étroites ruelles pavées juste en face de lui. Il ne trouva rien de mieux à faire que de suivre les pans de la robe blanche légère qui s'envolaient derrière celle qui l'avait tant troublé, timidement puis avec plus d'assurance à mesure qu'il pressait le pas. Il ne tarda pas à courir pour essayer de la rattraper mais ne pu que voir sa silhouette rétrécir loin devant lui en écoutant l'écho de ses pas qui s'estompait.

« Damn it! What the Hell are you even doing here Swann? I mean you didn't know the girl, first of all, let alone the fact that you had no freaking idea about what to tell her when she'd be in front of you, and I'm not even talking about how you could've fainted in her arms when she would've talked to you... How sexy. Now come on buddy, go back home already and leave it alone!» Il mit fin à son soliloque en se frappant le front et en se sommant d'arrêter de penser à cette fille ; il échoua lamentablement. Pour preuve, il ne savait même plus où il se trouvait, ne savait pas non plus par où passer pour rentrer chez lui et finit par errer une bonne demi-heure pour trouver la porte de sortie de ce labyrinthe qu'il connaissait pourtant comme sa poche hier encore. Inutile de dire qu'en rentrant chez lui, ni l'eau qu'il se fit couler sur le corps, ni la cigarette qu'il fuma sur le toit de sa maison, ni tout ce qu'il entreprit dans les jours qui suivirent ne put troubler cette vision idyllique dans son esprit.


Il mit une semaine à se décider enfin ; il retournerait à ce foutu parc, là où tout avait commencé, pour la revoir et surement se rendre compte qu'il ne faisait que rêvasser quand il avait vu un visage totalement fermé et  sans atouts passer . Ou pire, que personne n'était passé et que ce n'était que son imagination qui lui jouait des tours. Il s'en persuada d'autant plus lorsqu'il se fit remarquer qu'il n'avait pas dormi la semaine d'avant à cause de ses examens et qu'il se parlait à lui-même. Quelle personne saine d'esprit ferait cela ? Il ne reconnaissait plus. Il prit ainsi sa caméra et partit à l'assaut du parc d'Oxford. Pantalon retroussé, chemise repassée, cheveux gélifiée à la perfection comme le King : tout était parfait pour rencontrer tous ses anonymes qui souriraient sans le savoir à la gloire éphémère qui fait la société d'aujourd'hui. Il avait pour prétention de vouloir faire découvrir à la masse la beauté des choses simples, de rendre poétique même un chewing-gum collé par terre à la simple force de son style poli avec le temps et les cours de cinéma qu'il suivait à l'Université. Les minutes s'égrenèrent difficilement d'abord, puis passèrent des heures, et des jours ; et avec la force des choses et du temps destructeur, sa Muse ne fut bientôt plus qu'une idée diffuse sans corps ni âme qui hantait toutes ses pensées et les étouffaient.





C'est dingue comme vous pouvez avoir l'air débile lorsque le dernier mois d'existence se résume à cette unique phrase (très longue et compliquée). La vérité, c'est que vous n'avez pas grand-chose de mieux à faire en dehors de votre Drama Queen à part peut être squatter votre ordinateur et faire le légume devant votre télé. Vous avez bien essayé de vous avancer en Cinéma / Audiovisuel, mais vous n'arrivez plus à attraper votre caméra et l'approcher de votre œil pour filmer la vie en ébullition juste sous votre nez. Jouer d'un instrument de musique ? N'y pensez même pas, les seules notes qui daignent bien se faire entendre sous vos doigts ne sont que des mélodies de Céline Dion ou les bandes originales de film comme The Notebook. La seule alternative, vos papiers en littérature comparée. Autant dire que même avant que votre vie ne bascule, vous n'aviez pas eu le courage de lire Anna Karénine de Tolstoi en russe et de disserter sur la possibilité d'une brèche nihiliste dans le style pré-psychanalytique de l'auteur ainsi que des prémices de ses sévices mentales. Alors vous vous êtes mis à compter les jours avant la rentrée à l'Université ; vous savez qu'au moins là-bas, vous n'aurez plus à vous soucier de faire quelque chose de votre vie, vos amis s'en chargeront à votre place (tout comme vos professeurs). Et Faye ne fit que vous conforter dans vos illusions.

Trois jours après avoir regretté d'avoir passé vos vacances à vous lamenter pour retourner à l'école, n'ayant même plus le temps de vous gratter la tête, vous l'avez rencontré dans l'un des couloirs bondés, ou plutôt vous lui êtes rentré dedans alors que vous essayiez de rejoindre votre casier pour y entrer toutes vos affaires. Elle en a profité pour vous fixer rendez-vous au Starbucks du coin pour vous emprunter vos cours de littérature étrangère ; encore une qui aime moins cette matière que vous. Lorsque vous en avez enfin fini de prendre des notes et d’avoir des crampes aux bras, vous laissez derrière vous toutes vos affaires et vous en profitez pour récupérer celles de Faye en même temps que celle-ci vient ranger les siennes à côté de vous. Vous marchez côte à côte jusqu’au café mais elle se fait désirer, prétextant une course à faire. Elle arrivera dans moins de dix minutes disait-elle, mais vous connaissez Faye. Vous vous dirigez quand même vers votre place préférée, un fauteuil délavé, où vous sirotez lentement votre caféine au caramel et à la crème chantilly. Vous sortez un livre de votre sac en bandoulière et vous vous attelez à l’ardue tâche de vous détendre enfin un peu. Vous entendez soudain un plateau se poser bruyamment sur votre table ; le bruit brisant le silence dans lequel vous vous étiez doucement laissé bercer jusqu’au sommeil. Vous ouvrez malgré vous les yeux, vous passez une main dans vos cheveux et vous ramassez le livre qui vous avez fait tomber. Ce n’est que lorsque vous relevez enfin la tête qu’elle vous tourne plus que d’habitude.
« I hope you don’t mind, I brought a new friend of mine that just came to Oxford ; she still has no friends, so I hope you’ll be nice to her, you better be or a pierce those useless kidneys of yours. Zaé, James; James, Zaé» Et avec ça, elle vous a jeté un grand sourire et a entamé son café. Vous êtes troublé, peut-être est ce encore un peu faible. Heureusement, la surprise de votre réveil et des menaces de Faye donnent à votre air totalement perdu une excuse d’être. Vous essayez de balbutier des salutations et des « nice to meet you ! » à cette créature irréelle tandis qu’elle  fait de même, rouge comme une pivoine et avec un accent latino. Vous essayez de détendre l’atmosphère, de rire un peu même mais elle parait toujours aussi distante, mal à l’aise. Et vous de rétorquer dans un éclair de lucidité débile. « Oh, don’t worry about me. I’m gay; I mean, you probably don’t give a shit but you looked a bit bothered by the way I took my ease with you. I’m really sorry about that” Vous n’arrivez pas à croire que vous ayez pu proférer une horreur pareille. Mais vous n’êtes pas gay ! Mais vous avez devant vous votre Muse, votre vie, votre envie et vous l’envoyez bouler comme cela ! Et pourtant, cette annonce fait l’effet escompté ; elle semble plus détendue à présent, ses épaules ne sont plus crispées et son sourire devient plus franc. Et puis vous vous rendez compte que c’est ça aussi l’amour ; ne pas faire l’égoïste erreur de vouloir garder quelqu’un pour soit mais de vouloir son bonheur tout simplement. En rentrant chez vous ce soir là, vous vous rendez compte du pic de pathétisme que vous avez atteint, de ce pincement au cœur qui ne veut pas partir mais aussi de ses papillons dans l’estomac. Vous la reverrez demain ; vous ne l’embrasserez pas mais vous la reverrez demain, puis le jour d’après et vous continuerez ainsi tant qu’elle aura besoin de vous, que vous aurez besoin d’elle.





Encore une soirée à manger des popcorns devant la télé en pyjama et à subir les questionnements intempestifs de Zaé sur sa soirée de la veille. Ses expériences nocturnes n’étaient cependant pas pour lui déplaire, en dehors du fait qu’il ne pensait qu’à elle à chaque fois qu’il embrassait un garçon pour lui plaire ou tout simplement pour l’oublier un instant. Ils prônaient tous les deux ce genre de « folies universitaires » bien que James avait remarqué qu’il était le seul à en faire les frais.

« Oh my Goodness. I just can’t help thinking that the guy you’ll get to be with will be sooo lucky to have you. You’re so patient and loving attentive and …
- Okay, you can shut up now honey. I think you have some sort of romantic movies bad disease. I was already pretty sure you overdosed tonight but thanks to that, I’m sure you did.
- Come on, just take the damn compliment for once and let me dream about a guy like you.
- You just erased your spanish accent, that’s your bad. You do know that Penelope Cruz is one of the last women that give me a boner right?»

Elle partit dans un éclat de rire franc auquel il ne put que se joindre avant qu’un clic sonore ne se fasse entendre.

« Hey you ! You just can’t go and take pictures of me anytime anywhere.
- Aaaas if you had any sort of power over me.»

Il lui tira la langue avant de la mitrailler à nouveau avec son objectif. Tous les deux adoraient ce petit jeu, lui celui de la rendre encore plus belle à chaque instant et elle d’essayer de ne pas voir à quelle point elle était pétillante, drôle et magnifique. Toujours au taquet, c’était à celui qui réussirait à avoir l’autre le plus vite; autant dire que la candeur de Zaé à ne pas vouloir se retrouver emprisonnée dans sa petite boîte noire et argent était très touchante et totalement inutile face à la détermination de Swann à vouloir la rendre connue sur Internet. Il l’avait vu éclore sous ses yeux ses deux dernières années et cette réussite n’était que l’achèvement de la guérison de Zaé. Il aimait l’appeler comme ça, même s’il ne savait pas encore quelles cicatrices il avait essayé de refermer à tout prix toutes ses heures où elle pleurait sur son épaule, où elle avait besoin qu’il soit près d’elle, où elle essayait de sourire même à travers ses larmes. Il avait mit du temps à gagner sa confiance mais le jeu en valait clairement la chandelle. Ils avaient tous les deux appris énormément l’un de l’autre, autant au niveau scolaire qu’au niveau humain. Swann, qui parlait maintenant couramment l’espagnol, avait aussi appris à mentir, blaguer, aimer, faire les quatre-cent coups et enfin découvrir ce qu’il y avait derrière l’objectif par lui-même. Il avait appris à vivre non pas pour elle, mais avec elle et c’était le plus beau cadeau qu’elle aurait pu lui rendre. Encore une fois, il la regardait maintenant dormir, son visage angélique embelli par la décontraction de ses traits. Il prit sa caméra et s’approcha doucement d’elle ; « Baby we both know ; that the nights were mainly made for saying things that you can't say tomorrow day … »
Sa voix tremblante s’éteignit bientôt et il ne put que poser un baiser sur son front avant d’éteindre sa caméra et de s’endormir en pensant à ses images qu’il garderait égoïstement ; la lumière s’éteignit alors que son souffle chaud caressait la nuque de Zaé.[/center]